Société par Actions Simplifiée : La minorité peut-elle l’emporter ?

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Actualité publiée dans le magazine Gestion de Fortune n°350 Octobre 2023

La SAS, objet même d’une certaine souplesse conférée aux associés par le législateur, constitue le terrain de techniques d’ingénierie sociétaire variées. La question du périmètre de cette flexibilité divise, tant la doctrine que les juges causant des revirements de jurisprudence.

En l’espèce, le litige naquit d’une résolution prise en assemblée à une minorité de voix en vertu d’une clause statutaire prévoyant une adoption des décisions collectives « à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés ». Au regard de cette disposition, les associés statuant sur une augmentation du capital de la société avec suppression du droit préférentiel de souscription ont vu la délibération adoptée avec 46% de votes favorables malgré l’opposition de 54%.

Les juges du droit interrogés sur la validité d’une telle clause le 19 janvier 2022 (Cass. Com., 19 janv. 2022, n°19-12.696), avaient répondu par la négative au motif que cette règle ne permettait pas de départager partisans et adversaires dans la mesure où ils y satisfaisaient simultanément. Ainsi, selon la Haute juridiction, une décision prise en assemblée devait nécessairement recueillir une majorité simple, soit plus de la moitié des voix, pour être adoptée. Force est de constater que cette solution, si elle apparait logique dans son principe et conforme à l’objectif de stabilité poursuivi par la collégialité des associés, ne s’appuie pour autant sur aucun fondement légal.

Si le raisonnement mené par la chambre commerciale de la Cour de cassation avait suscité l’assentiment du plus grand nombre, il en fût autrement de celui retenu par la Cour d’appel de renvoi de Paris (CA Paris, pôle 5, ch. 8, 4 avr. 2023, n°22/05320). Les juges du fond s’appuyèrent sur une lecture stricte du premier alinéa de l’article L227-9 du Code de commerce selon lequel « les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient ». Selon les juges, la terminologie approximative retenue dans les statuts, « majorité du tiers » que l’on pourrait qualifier d’oxymore, s’apparente davantage à une condition de seuil conforme à la liberté contractuelle laissée aux associés qu’à une règle de majorité.

En réponse à la principale objection formulée par les juges du droit, la Cour d’appel souligna que l’article statutaire litigieux visait une condition de seuil en vue de l’approbation d’une décision et non de son rejet. Il était dès lors, possible de départager les votants. Enfin, les juges du fond relevèrent que la clause ne préjudiciait pas au droit fondamental des associés de participer aux assemblées, à leur égalité et que la résolution s’inscrivait dans l’intérêt social.

  • [1] [1] R. Mortier, « SAS – La loi de la minorité peut-elle régir une société ? », Droit des sociétés n°6, Juin 2023, repère 6
  • [2] [2] B. Marpeau et T. Damour, « Société par actions simplifiée – Décisions collectives adoptées à la minorité : de la résistance des juges du fond », JCP E n°26, 29 juin 2023, 1197
Avis de l’AUREP

Conforme à la lettre des textes, l’analyse de la Cour d’appel respecte le caractère libéral de la SAS. Elle nous apparait cependant discutable au vu de l’affectio societatis fondement même du droit des sociétés et du contentieux qu’elle est susceptible de générer. Ce schéma reposant sur une liberté contractuelle accrue pourrait occasionner une instabilité dans la gouvernance et le processus décisionnel. Comment concevoir la pérennité et l’unité de la collectivité des associés dans un environnement potentiellement contrarié par des volontés contradictoires[1]?

Au regard de cette versatilité juridique, la prudence s’impose, en attendant vraisemblablement une réponse de l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Les associés veilleront à s’entourer d’experts pour rédiger des statuts conformes à leur volonté et à recourir aux outils traditionnels dont la validité ne fait aucun doute[2]: actions de préférence, pacte d’associés. On l’a vu, la précision des termes utilisés revêt une importance majeure car elle permet de lever toute ambiguïté dans l’interprétation qui en découle.

Droit civil Droit des sociétés
Thomas Gimenez

Thomas Gimenez

Chargé de recherche