Devoir de conseil relatif à l’existence de dispositifs fiscaux

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La présente affaire (CA Rouen, 1ère Civ., 22 nov. 2023, n° 22/00275) n’est pas sans rappeler l’affaire qui avait justifié notre commentaire du 8 juin dernier traitant également du devoir d’information et de conseil du notaire quant à l’existence de dispositifs fiscaux susceptibles d’être favorables pour le client.

Les recommandations de la Cour de Rouen peuvent intéresser tout professionnel du conseil patrimonial, qu’il soit notaire ou CGP.

Credit Photo Tirachard | Freepik

En l’espèce, une notaire était chargée du règlement de la succession d’un défunt laissant pour lui succéder son épouse et sa fille. Dans sa succession, il laissait entre autres les parts d’un restaurant exploité sous la forme d’une SARL. L’administration fiscale contesta les deux déclarations de succession établies par la notaire aux motifs qu’il avait été omis à leur actif d’une part, un compte courant d’associé détenu par le défunt dans la SARL, d’autre part, une créance successorale. En raison de ces omissions, la fille du défunt assigna la notaire en responsabilité et réparation des préjudices subis. En parallèle, elle revendiquait le manquement à son devoir de conseil quant à l’existence du pacte Dutreil qui lui aurait permis de bénéficier post mortem d’une diminution de droits considérable.

Si la responsabilité du notaire a été retenue à l’égard des omissions précédemment exposées au motif que celle-ci avait manqué à son obligation de vérification de la consistance de la succession, nous nous intéresserons particulièrement au deuxième moyen invoqué par la requérante. Le raisonnement mené par la Cour d’appel de Rouen se révèle pédagogique en ce qu’il illustre parfaitement l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du notaire.  

Les juges du fond rappellent que le professionnel « est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur le contenu et la portée de l’acte qu’il établit ». Appliqué aux faits, on comprendra que le notaire doit non seulement prévoir et informer ses clients des incidences fiscales des actes qu’il rédige mais également les conseiller pour qu’ils puissent en apprécier l’impact.

Ici, la notaire reconnait ne pas avoir effectué les démarches nécessaires pour informer ses clients de l’existence du Pacte Dutreil. Elle justifie cette carence en raison de l’absence des réunions des conditions nécessaires pour bénéficier du dispositif fiscal. La professionnelle arguait que le statut de la fille du défunt, seulement administrateur provisoire de la société au décès, était incompatible avec la fonction de gérant énumérée par les textes rendant inapplicable le bénéficie de l’exonération.  En outre, elle invoquait la volonté passée de la fille de vendre le fonds de commerce.

La Cour d’appel écarte les moyens invoqués et retient un défaut d’accomplissement du devoir de conseil de la notaire. Cette dernière aurait dû aviser sa cliente de l’existence du dispositif fiscal. Ainsi, la fille, dûment informée, aurait été en mesure d’entreprendre les démarches nécessaires pour remplir les conditions d’éligibilité nécessaires à l’exonération de droits de succession. S’agissant de la volonté antérieure de la fille de céder le fonds, la cession n’ayant pas aboutie, l’argument est jugé inopérant. Devenue gérante après le décès de son père sa volonté de s’inscrire dans la gestion sociale est caractérisée. Ainsi, les juges du fond mettent en cause le devoir de conseil du notaire au titre de la perte de chance de n’avoir pu bénéficier d’une réduction des droits de succession.

Avis de l’AUREP

Cet arrêt illustre une nouvelle fois que le notaire (il en sera de même des CGP) est tenu aussi bien d’informer que de conseiller ses clients de manière complète et circonstanciée pour qu’ils puissent appréhender les incidences fiscales des actes auxquels il prête son concours. Dûment informés, la responsabilité du professionnel ne sera plus inquiétée, quelle que soit leur décision. Plus généralement, nous attirerons l’attention de l’ensemble des conseils du contribuable à qui il appartient de respecter ces obligations d’information et de conseil tant dans l’acquisition, la gestion et la transmission du patrimoine de leur client que dans sa vocation à hériter dans le cadre d’une succession.

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Droit civil Droit fiscal
Thomas Gimenez

Thomas Gimenez

Chargé de recherche